Grands projets pour l’Afrique : une série de questions/réponses par les experts de l’AEWA

Bonn, 10 novembre 2015 - En amont de la MOP6, nous nous sommes assis avec les experts de l’AEWA pour les interroger sur leurs réussites et défis professionnels, ainsi que sur les projets à venir. Autour de la table sont rassemblés Jacques Trouvilliez (Secrétaire exécutif de l’AEWA), Sergey Dereliev (Responsable technique au sein de l’AEWA) et Evelyn Moloko, Coordinatrice de l’Initiative africaine de l’AEWA depuis six ans, qui travaille avec les Parties africaines à la promotion de l’Accord dans la région.

Qu’est-ce qui rend l’AEWA unique ?

Jacques Trouvilliez : Afin de survivre, les oiseaux ont besoin d’habitats dans différents pays et sur différents continents. L’AEWA est le traité international qui protège les oiseaux migrateurs et leurs habitats le long des voies de migration à travers l’Afrique et l’Eurasie. Cette conservation des itinéraires aériens constitue le moyen le plus efficace de conserver les oiseaux migrateurs grâce à la coopération entre les pays.

Pouvez-vous présenter brièvement l’Initiative africaine ?

Evelyn Moloko : L’Initiative africaine est un ensemble de mesures d’appui qui utilise diverses approches afin de mettre en œuvre l’AEWA en Afrique. Du côté de l’AEWA, le Coordinateur de l’Initiative africaine est chargé de conseiller les Parties africaines, de lever des fonds pour les principales activités de la région et de coordonner les efforts des différents partenaires impliqués dans la conservation des oiseaux d’eau. Depuis le lancement de l’Initiative en 2009, nous avons recruté dix nouvelles Parties en Afrique, un record sans précèdent depuis l’entrée en vigueur de l’AEWA, et nous allons continuer à encourager les pays à adhérer grâce à des ateliers de promotion de l’AEWA.

Et quelles sont les principales activités de l’AEWA dans la région ?

Jacques Trouvilliez : Il faut investir les ressources là où elles auront le plus d’impact. L'un des principaux défis de la région est le renforcement des capacités. C’est pourquoi nous qualifions de réussite cruciale le Mémorandum d’Entente récemment signé par trois importantes écoles de gestion de la faune sauvage en Afrique — la Wildlife School à Garoua (Cameroun), le College of Wildlife Management à Mweka (République Unie de Tanzanie) et le Kenya Wildlife Service Training Institute à Naivasha. Ils ont tous accepté d’inclure dans leur programme le module de formation sur l’approche des itinéraires aériens relatif à la conservation des oiseaux d’eau et des zones humides, que nous avons développé en collaboration avec nos partenaires. Les personnes qui suivront cette formation transmettront ce qu’ils auront appris à d’autres, créant ainsi une base de connaissances dans la région où elles seront utilisées. C’est essentiel pour le succès de nos efforts de conservation et cette approche constitue le fondement de notre concept de « Formation des formateurs ».

Quelles autres approches sont cruciales pour le succès de l’Initiative africaine ?

Jacques Trouvilliez : Nous devons convaincre les gens du fait que la conservation de la biodiversité n’est pas un luxe : c’est une condition préalable à l’amélioration des conditions de vie. Nous devons nous rappeler que, bien que la conservation de la nature soit basée sur la science, c’est toujours une histoire humaine, et nous devons créer une alliance qui bénéficie à la fois aux oiseaux et aux humains. Il ne s’agit pas seulement de sensibiliser les populations, mais également de créer des incitations et de trouver des solutions innovantes.

Pouvez-vous nous donner un exemple de projet réussi qui illustre cette idée ?

 © Wetlands International Africa and AIV at the Ndiael Avifauna Special Reserve in Senegal

     Ndiaël Avifauna Special Reserve, Senegal © Wetlands-International-Africa

Sergey Dereliev : Un bon exemple est le projet à Berga, en Éthiopie, où l’AEWA a soutenu le travail de conservation grâce au Fonds des petites subventions. La communauté est située près d’une zone humide en moyenne montagne, qui constitue la seule zone de reproduction connue du râle à miroir, une espèce en danger critique d’extinction. Ce qui était auparavant un paysage commun est en train de disparaître rapidement à cause du développement intensif de l’agriculture et les habitats du râle à miroir sont perdus en cours de route. Afin de protéger ce dernier site de reproduction, nous devions impliquer les locaux qui possèdent le terrain et dont les moyens de subsistance en dépendent. Dans le cadre de notre Plan d’action pour cette espèce, nous avons coopéré avec plusieurs ONG, qui ont construit une école pour la communauté, où les enfants n’avaient pas d’accès à l’éducation jusqu’à maintenant. L’école s’appelle l’École du râle à miroir, et la conservation des oiseaux et la préservation du patrimoine naturel font partie du programme scolaire. Un groupe de bénévoles locaux a créé le Groupe de soutien du site (environ 70 personnes soucieuses de la conservation) afin de surveiller le site et de s’assurer qu’il est géré de manière durable pour le râle à miroir. La communauté de Berga s’est appropriée le râle à miroir et il est devenu un investissement pour l’avenir pour toutes les personnes impliquées.

Quels facteurs considérez-vous essentiels pour la réussite de vos efforts ?

Jacques Trouvilliez : La pression démographique en Afrique va considérablement augmenter dans les années à venir. Les gens vont déménager en ville à la recherche d’emploi. Les méthodes d’agriculture intensive vont également se généraliser, modifiant ainsi l’utilisation des sols. Lorsqu’une ville s’agrandit, les zones humides voisines sont souvent détruites à cette occasion, car elles sont considérées comme des terres inutilisables. Les gens ne comprennent pas vraiment la valeur que ces habitats représentent, et pas seulement pour les oiseaux. Afin d’améliorer le processus d’aménagement du territoire, il faut évaluer le statut d’une zone humide en amont afin d’identifier si elle constitue un site d’étape essentiel pour les oiseaux migrateurs. Par exemple, le courlis corlieu, un grand échassier, utilise des sites d’étape le long de sa voie de migration depuis le nord de l’Arctique jusqu’à la pointe sud de l’Afrique ; c’est un migrant sur de longues distances qui effectue de longs vols. Si vous détruisez un site d’étape, cela équivaut à casser un maillon d’une fermeture éclair : cela ne marchera pas. La distance entre les sites deviendra trop grande, les oiseaux n’auront plus assez d’énergie pour sauter un arrêt dans leur voyage et ils mourront.

Quels autres problèmes majeurs en matière de conservation existent dans la région et qui doit être pris en compte pour les résoudre ?

Evelyn Moloko : L’impact des sociétés de pêche sur la conservation des oiseaux marins constitue un sujet grave, particulièrement pour les pays d’Afrique australe. Cela sera évoqué lors de la MOP6 d’AEWA, en parallèle d’un plan d’action multi-espèces pour les oiseaux marins, le tout premier développé sous l’égide de l’AEWA ; il concerne l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Angola.

Sergey Dereliev : Les réserves de poissons dont les colonies d’oiseaux dépendent sont en train de disparaître à cause de la pêche non durable. Si les poissons disparaissent, alors les colonies d’oiseaux disparaîtront aussi car elles n’auront plus de ressources pour survivre.

L’autre sujet, c’est la capture accessoire. Nous devons nous assurer que les sociétés de pêche utilisent des crochets ou des méthodes de pêche respectueux des oiseaux. Bien entendu, cela va entraîner une augmentation des coûts. Nous devons trouver comment convaincre les pays pratiquant la pêche de mettre en place des normes obligatoires respectueuses des oiseaux. Certains de ces sujets seront évoqués lors de la MOP6 : voici les recommandations, quelle est la marche à suivre ? C’est un nouveau domaine de travail pour nous et un nouveau défi qui nécessitera la coopération avec les traités et conventions intergouvernementaux couvrant la haute mer.

Comment promouvoir l’idée d’un partage des zones humides entre les oiseaux et les humains dans leur intérêt mutuel ?

Jacques Trouvilliez : Nous devons promouvoir le concept d’investissement dans l’avenir et fournir un ensemble d’alternatives et de moyens de créer de nouvelles sources de revenus. L’écotourisme constitue l’une des solutions potentielles de notre boîte à outils, mais ce n’est pas la seule. Pendant la MOP6, nous allons présenter le Prix trisannuel de Conservation des oiseaux d’eau et l’un des gagnants cette année est l’Association inter villages (Inter-Village Association (AIV)) du Ndiaël. Elle réunit 32 villages du nord du Sénégal autour de la Réserve spéciale d’avifaune du Ndiaël. Le développement des infrastructures dans les années 1960 a conduit à l’assèchement de la plaine d’inondation locale. Combiné à la pression humaine sur les ressources naturelles, cela a entraîné la perte de la majorité des oiseaux d’eau du site.

Soutenue par le gouvernement et des ONG, l’association de villages travaille depuis 2004 à restaurer la plaine d’inondation, ainsi que sa biodiversité, tout en renforçant les moyens de subsistance de la population rurale. Parmi les points forts du projet, on peut citer la construction d’un site de reproduction pour pélicans et d'un point de vue pour l’écotourisme.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Evelyn Moloko : Le Plan d’action pour l’Afrique propose de mener cinq grands projets autour des moyens de subsistance, un pour chaque région du continent, afin de démontrer les alternatives à l’utilisation des zones humides. Nous devrons travailler tous ensemble et prouver la valeur de ces projets : si les zones continuent à être gérées de la même manière, la valeur reste la même, si on bascule vers l’écotourisme par exemple, il y a une forte possibilité de valeur ajoutée. Et une fois mis en place, ces sites de démonstration devront être viables sur le plan économique. Ce projet nécessitera de trouver de gros investisseurs, des organisations internationales et locales avec lesquelles coopérer : c’est notre prochain grand défi. Nous devons nous assurer que les ressources fauniques du continent sont utilisées de manière durable pour que demain et le jour d’après, les générations futures puissent apprécier cette beauté, ce mélange coloré d’espèces différentes que constitue la biodiversité africaine.

Evelyn Moloko

Evelyn Moloko

Ingénieur en agronomie et gestionnaire des ressources naturelles, Evelyn a été confrontée aux exigences diverses et parfois conflictuelles que représente le besoin en ressources naturelles, de leur utilisation pour garantir une sécurité alimentaire à leur rôle dans la conservation de la biodiversité.

Evelyn a d’abord collaboré avec l’AEWA en tant que Conseillère adjointe pour la région africaine au Secrétariat de la Convention de Ramsar pendant l’organisation d’une mission de conseil sur le terrain de Ramsar en février 2008. La mission incluait les Secrétariats du PNUE/AEWA et du PNUE/CMS et traitait de l’utilisation et de la gestion durables du Site de Ramsar du bassin du lac Natron par rapport au développement d’une usine d’extraction de carbonate de soude.

Suite au lancement de l’Initiative africaine de l’AEWA en 2009, Evelyn a soutenu le Secrétariat du PNUE/AEWA en tant que coordinatrice de l’Initiative. Elle travaille à la promotion de la mise en œuvre de l’Accord en Afrique et constitue l'un des principaux moteurs du succès de l’Initiative.

 

Dernière mise à jour le 10 November 2015