Il est temps d’abandonner le plomb

Bonn, 19 mai 2020 – Tandis qu’une grande partie du monde continue de retenir sa respiration tout en essayant de venir à bout de la pandémie de COVID-19, nombre d’entre nous sommes confinés à la maison, à essayer de gérer le quotidien avec cette nouvelle normalité. 

J’ai essayé de profiter des restrictions de nos activités pour réfléchir à certains des défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés, en plus de la pandémie actuelle et des discussions autour des maladies émergentes. En ces circonstances difficiles, il n’y a pas de solution facile ou de remède miracle.

Toutefois, il existe des défis sanitaires pour lesquels les solutions sont connues et pour lesquels nous disposons déjà des outils pertinents. L’un de ces défis est d’enfin mettre un terme au décès d’environ un million d’oiseaux d’eau en Europe chaque année à cause de l’empoisonnement au plomb, en supprimant progressivement l’utilisation des grenailles de plomb. 

Cette mortalité inutile est causée directement par une activité humaine, diminuant par inadvertance nos ressources naturelles partagées et les services écosystémiques que ces oiseaux fournissent, à la fois en tant que composants essentiels de l’environnement et en tant qu’opportunités de chasse et de loisir récréatif. 

Comme de nombreux poisons, la toxine est transmise et entraîne un empoisonnement secondaire des oiseaux de proie et autres charognards qui se nourrissent des carcasses d’oiseaux d’eau empoisonnés. Par ailleurs, la nature insidieuse de la toxicité du plomb signifie qu’en plus du million de décès d’oiseaux d’eau, des millions d’autres souffrent d’impacts sublétaux. Bien que les oiseaux ne meurent pas de l’empoisonnement, leurs capacités à trouver de la nourriture et à échapper aux prédateurs sont affectées, et leur système immunitaire, ainsi que leurs capacités de reproduction sont affaiblis, ce qui peut entraîner des impacts démographiques encore plus graves.

Les sujets sanitaires de la faune sauvage et des humains sont étroitement liés. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) juge le plomb comme une substance sans seuil, ce qui signifie que toute exposition est considérée comme dangereuse pour les humains. La science a prouvé que l’exposition au plomb pouvait par exemple entraîner des problèmes de développement chez les enfants. Le plomb est toxique, cela n’est pas nouveau. Même les Romains connaissait les dangers du plomb pour la santé humaine, notant la pâleur des travailleurs du plomb et préférant utiliser l’argile pour les conduites d’eau. Au cours des dernières décennies, l’utilisation du plomb a été interdite de presque tous les aspects de notre quotidien dans le monde développé. Nous avons interdit l’utilisation du plomb dans l’essence de nos voitures et dans la peinture de nos maisons. Alors pourquoi des dizaines de milliers de tonnes de plomb sont-elles encore injectées dans l’environnement européen chaque année sous la forme de billes de plomb disséminées ? 

Les premiers signalements d’un empoisonnement au plomb dû à un coup de feu datent du 19ème siècle. Lorsque je travaillais en tant que Directeur de l’Unité des oiseaux migrateurs à l’Office national de la Chasse et de la Faune sauvage, une agence publique française, nous avons appris à comprendre les problèmes que les billes de plomb pouvaient causer aux oiseaux d’eau. En collaboration avec le Bureau international de recherche sur les oiseaux d’eau (à présent Wetlands International) et la fondation Tour du Valat, nous avons publié une vidéo en 1990 expliquant en détail les diverses inquiétudes autour de l’utilisation des munitions au plomb et démontrant déjà, avec des chasseurs danois, que la transition vers des munitions non-toxiques serait possible sans trop de difficultés.

En tant que chasseur expérimenté, la chasse est pour moi une question de durabilité et de respect de la nature. Selon moi, les chasseurs sont des gardiens de l’environnement. J’ai essayé pour la première fois des munitions non-toxiques lors d’une chasse au faisan en 1990, puis lors d’une chasse au canard en utilisant une arme Verney-Carron. Après une petite période d’adaptation, due à la balistique légèrement différente de l’argent par rapport au plomb, le résultat était à peu près le même, à une exception notable près : je ne rejetais plus de plomb dans l’environnement.

Comme vous pouvez le voir, la question de la suppression progressive des munitions au plomb ne se pose pas. C’est la raison pour laquelle les pères fondateurs de l’AEWA ont inclus cette suppression dans les zones humides en tant qu’obligation juridiquement contraignante pour les Parties à l’AEWA dans le texte de l’Accord dès le début en 1995. Malgré les progrès réalisés, l’empoisonnement au plomb continu d’un tel nombre d’oiseaux prouve que ces obligations juridiques ne sont pas encore respectées.

Les arguments présentés contre la transition des billes de plomb vers des alternatives par les membres de la communauté de la chasse, ainsi que par l’industrie des munitions, sont plus ou moins les mêmes que ceux avancés il y a 20-30 ans. Cependant, ces arguments sont des reliques qui ont été discrédités les uns après les autres par la recherche scientifique et par l’utilisation pratique des chasseurs progressistes. Des alternatives sûres aux grenailles de plomb sont aujourd’hui largement disponibles et utilisées par certains pays, dont les chasseurs et les décideurs politiques ont reconnu qu’il s’agissait d’un problème qui devait être résolu, au bénéfice de la faune sauvage et des humains en tant que consommateurs de gibier. 

Et que les choses soient claires : personne ici n’est en train d’essayer d’interdire la chasse. Il s’agit d’une campagne anti-empoisonnement, pas anti-chasse. C’est une idée préconçue qui continue de se propager comme une traînée de poudre, refusant de s’éteindre. Les chasseurs sont un élément crucial de l’AEWA et de la communauté de la conservation dans son ensemble. Des pays tels que les Pays-Bas et le Danemark nous ont montré la voie à suivre : ils sont la preuve que même une suppression totale du plomb dans les munitions est possible, tout en gardant la communauté de la chasse forte et intacte.

Défier les grandes entreprises et remettre en question les traditions demande du courage. J’aimerais également réfléchir au coût personnel payé par de nombreux membres des communautés scientifiques et de la conservation, ainsi que par des représentants de gouvernements et d’institutions internationales, qui ont été sujets à des comportement allant d’agressif à carrément brutal de la part des opposants à la transition vers des munitions non-toxiques. 

Particulièrement en des périodes comme celle que nous vivons actuellement, où nous sommes confrontés à de nombreux défis écologiques inquiétants, nous devons avoir des populations saines d’animaux sauvages afin de résister aux maladies très répandues. Alors avançons et occupons-nous de ceux pour lesquels nous avons déjà les solutions et les outils en place. Il n’y a aucune excuse pour continuer à utiliser les grenailles de plomb pour la chasse dans les zones humides.

J’appelle par la présente toutes les Parties contractantes et les États de l’aire de répartition, nos partenaires et parties prenantes en Europe et au-delà : avançons ensemble pour enfin régler ce problème, qui fait partie de nos obligations légales et dont le changement est à notre portée. J’appelle en particulier la Commission européenne et ces États membres qui sont des Parties à l’AEWA à jouer un rôle décisif et à respecter leurs engagements dans le cadre de l’Accord en adoptant la proposition de restriction visant à interdire l’utilisation de grenailles de plomb dans les zones humides ou au-dessus de ces dernières dans le cadre de la Règlementation REACH de l’UE.

Dans l’intérêt de nos oiseaux d’eau et de l’équilibre de notre environnement commun, il est grand temps que nous abandonnions le plomb. 

Jacques Trouvilliez
Secrétaire exécutif de l’AEWA 
 

 

Pour de plus amples renseignements, veuillez contacter : Nina Mikander, Administratrice associée des programmes pour les Plans d’action par espèce

Dernière mise à jour le 24 Juin 2020

Type: 
News item
Species group: 
Birds