Interview de Szabolcs Nagy de Wetlands International - Auteur du Rapport sur l’état de conservation

Pourquoi le Rapport sur l’état de conservation est-il si important ?

Le Rapport international sur l’état de conservation est le seul rapport que produit le Secrétariat de l’AEWA pour chaque session de la Réunion des Parties. Il jouit d’un statut spécial car l’Accord vise à maintenir ou à restaurer les populations d’oiseaux d’eau migrateurs dans un état de conservation favorable. Tous les trois ans, le rapport compile les informations les plus récentes disponibles et réévalue l’état de conservation de chaque population couverte par l’AEWA. Sur cette base, la MOP amende le Tableau 1 du Plan d’action de l’AEWA et par ce biais, détermine le régime de gestion applicable à chaque population. Ce rapport fournit également des données pour huit des indicateurs du Plan stratégique de l’AEWA. Par ailleurs, il souligne les manquements et les progrès dans la surveillance et l’état de conservation des oiseaux d’eau, et aide à classer par priorité les actions de l’AEWA au-delà de l’Afrique ; une attention toute particulière est également accordée à l’ouest de l’Asie. Essentiellement, le Rapport sur l’état de conservation est un genre de tableau de bord pour l’Accord, qui permet une gestion adaptative des populations que l’Accord souhaite maintenir ou restaurer dans un état de conservation favorable. 

Quelles ont été les principales tendances et développements ces dix dernières années ?

Les effectifs des populations se sont considérablement améliorés, avec des estimations des tendances des populations de qualité raisonnables à bonnes, grâce à des projets de renforcement de la capacité réalisés ces trois dernières années le long de la voie de migration. Bien que le nombre de populations en déclin soit presque 50 % plus élevé que celui des populations en augmentation, il s’agit d’un bon résultat car la situation ne s’est pas dégradée. Depuis la ratification de l’AEWA, la situation est bien meilleure que celle des voies de migration américaines (sauf en Amérique du Nord) ou celle de l’Est de l’Asie-Australasie, et nous assistons même à de légères améliorations. Le rétablissement des oies, des pélicans et des grues en Europe est une belle histoire à succès, comparé à leur état en Asie de l’Ouest, une région avec peu de Parties à l’AEWA, un réseau d'aires protégées bien moins complet et un régime de gestion des prélèvements moins efficace. D’un autre côté, de plus en plus d’espèces deviennent mondialement menacées ou quasi menacées, et l’indice de la Liste rouge affiche une tendance décroissante. Avec la dernière mise à jour de la Liste rouge, l’indice devrait même révéler une détérioration encore plus grande. La bonne nouvelle est que les populations qui sont soumises à des mesures de conservation actives se portent généralement mieux, avec « seulement » 45 % de populations déclinantes en comparaison avec celles qui ne sont pas couvertes par des mesures de conservation actives, dont 83 % sont en déclin.    

Quelles sont les espèces tout spécialement menacées et quelles en sont les raisons ?

Pendant longtemps, nous avons considéré les grèbes, les ibis et les spatules, les grues, les râles et les échassiers comme étant les plus grandes familles d’oiseaux d’eau ayant la plus forte proportion de populations en déclin, et c’est toujours le cas. Toutefois, actuellement, 49 % des populations de canards, d’oies et de cygnes sont également en déclin, comparés aux 38 % mesurés lors de la dernière évaluation. En termes absolus, le nombre de populations de canards, de cygnes et d’oies en déclin a augmenté, passant de 38 à 47. Il est inquiétant que la situation se soit actuellement aussi détériorée dans le Paléarctique occidental. Les principales menaces sont l’utilisation non durable des ressources biologiques, y compris la mauvaise gestion des prélèvements illégaux et de l’abattage illégal et accidentel, la modification des systèmes naturels par le biais de toute une gamme d’activités humaines qui détruisent ou dégradent les écosystèmes des zones humides. Les espèces envahissantes et autres espèces posant problème, la pollution, l’intrusion humaine et les perturbations, ainsi que l’agriculture et l’aquaculture constituent de sérieux dangers. Cependant, notre connaissance collective des menaces est relativement sporadique. La plupart des preuves demeurent anecdotiques ou statistiques, et ne comprennent pas l’aire de répartition toute entière d’une population.      

Que peut-on faire, dans le cadre de l’AEWA, pour stopper le déclin des oiseaux d’eau migrateurs ?

Les populations les plus menacées, notamment celles qui sont mondialement menacées et quasi menacées, ont besoin d’actions combinées de tous les principaux États de l’aire de répartition le long de leurs voies de migration. Le Secrétariat de l'AEWA, en collaboration avec d’autres conventions et l’UE, fait tous ses efforts pour développer des plans d’action internationaux par espèce. Si ces plans sont mis en œuvre, vous aurez habituellement de bons résultats. Toutefois, ces mesures spécifiques aux espèces demandent beaucoup de ressources, et les mécanismes de financement existants ne sont pas très bien adaptés aux projets de voies de migration, à l’exception – notable – du fonds LIFE+ de l’UE. Le FEM et les autres donateurs devraient également investir davantage dans des projets multi-pays coordonnés, sans quoi un investissement réalisé à un certain endroit de la voie de migration est compromis ailleurs. En outre, les populations d’espèces mondialement menacées et quasi menacées ne représentent qu’une petite fraction des populations dont s’occupe l’AEWA : le Plan stratégique de l’AEWA a davantage d'objectifs ambitieux. Heureusement, le Plan d’action de l’Accord fournit un plan de ce qui doit être fait : protéger les sites d’importance nationale et internationale, et les habitats clés, assurer que tous les prélèvements sont durables et éviter la mortalité inutile des oiseaux d'eau. Au fil des ans, l’AEWA a fourni un train de lignes directrices complet. Maintenant, les principaux thèmes d’attention sont la mise en œuvre et la garantie de financement. 

Pourquoi la surveillance des oiseaux d’eau est-elle si importante pour la conservation ?

Sans la surveillance des oiseaux d’eau, les conserver et les gérer ne vaut pas mieux que de conduire un avion sans tableau de bord. Cela peut être amusant, mais c’est aussi extrêmement dangereux ! La surveillance des oiseaux d’eau fournit des informations vitales pour la gestion des prélèvements durables. Deux indicateurs essentiels nécessaires à la gestion durable des populations d'oiseaux d'eau, à savoir la taille d’une population et son taux de croissance, sont produits par la surveillance. Malheureusement, les programmes nationaux de surveillance ont une utilité limitée sans les informations contextuelles que peuvent fournir les programmes internationaux tels que le Recensement international des oiseaux d'eau (IWC) ou les évaluations des oiseaux d’Europe, parce que les oiseaux d'eau migrateurs ne se limitent pas aux frontières d’un pays, et que ni l’état des populations ni les taux de prélèvement ne peuvent être gérés de façon isolée. La situation est particulièrement sensible actuellement, compte tenu du fait que presque la moitié des populations d'oiseaux d'eau figurant à l’Annexe II de la Directive Oiseaux (qui dresse la liste des espèces chassables dans l’Union européenne) est en déclin et qu’une douzaine des espèces y figurant sont soit mondialement menacées, soit quasi menacées. Ceci demande une gestion adaptative des prélèvements coordonnée à l’échelle de la voie de migration, et c’est là que l’AEWA peut jouer un rôle important car ces populations ne se restreignent pas à l’UE. La surveillance des oiseaux d’eau est également essentielle pour évaluer l’état des populations d’oiseaux d’eau, pour voir là où les mesures de conservation sont efficaces. Une surveillance régulière est aussi nécessaire pour identifier les sites importants au niveau national et international, et évaluer  la qualité de leur gestion. Des documents internationaux, tels que le Rapport sur l’état de conservation ou les Évaluations des populations d’oiseaux d’eau, fournissent un cadre pour évaluer les tendances au niveau des sites dans le contexte de la voie de migration.   

Comment pouvons-nous combler les différences régionales en termes de conservation des oiseaux d’eau migrateurs ?

Comme mentionné auparavant, les oiseaux d’eau migrateurs sont une ressource partagée et une responsabilité partagée. Les Parties contractantes à l’AEWA ont convenu des mêmes objectifs lorsqu’elles ont ratifié l’Accord, et elles se sont engagées à maintenir ou à restaurer les populations d’oiseaux d’eau dans un état de conservation favorable. L’AEWA fournit un mécanisme pour négocier des accords au niveau de la voie de migration concernant des objectifs de gestion partagés, ce qui peut incorporer et refléter des différences régionales. Le principal problème réside dans le fait que les pays situés le long de la voie de migration ont des capacités techniques et financières fondamentalement différentes. La région inclut certains des pays les plus riches et les plus pauvres de la planète. Ces différences peuvent être comblées par le biais d’activités telles que la formation, le jumelage, les détachements et des projets conjoints intégrant les objectifs de l’AEWA dans une aide bilatérale ou multilatérale. L’appui des pays donateurs à la mise en œuvre du Plan d’action pour l’Afrique est assez décevant. Seule une poignée de pays y ont contribué, bien qu’il eut été dans le meilleur intérêt de l’UE et de tous ses États membres d’investir fortement dans le Plan d’action pour l’Afrique. Ceci aurait protégé leurs propres investissements dans leurs efforts de conservation nationaux. Heureusement, avec le Réseau de sites critiques résistants au climat du projet de la voie de migration d’Afrique-Eurasie, que Wetlands International vient de démarrer avec le soutien de l’Initiative internationale pour le climat du ministère fédéral allemand pour l’Environnement, nous pouvons démontrer que la conservation de la biodiversité peut être combinée avec la protection des moyens de subsistance. Cette approche constitue la meilleure valeur pour tous ceux qui y participent.  

Quel message aimeriez-vous transmettre aux délégués participant à la MOP ?

Les résultats de nos études actuelles et précédentes confirment que la conservation fonctionne et que l’AEWA est un Accord qui fonctionne, avec un point d’attention clair et spécifique. À ce stade, l’Accord est devenu adulte et a commencé à donner des résultats. Nous devons poursuivre cet élan.

Dernière mise à jour le 13 November 2015