Action concertée et gestion durable des oiseaux d’eau de l’AEWA

Bonn, 10 novembre 2015 - L’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA) tient sa 6ème Réunion des Parties (MOP6) à Bonn (Allemagne), du 9 au 14 Novembre 2015. L’AEWA est un traité intergouvernemental regroupant 75 Parties, et est administré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il porte sur la conservation et l’utilisation durable des espèces d’oiseaux d’eau migrateurs qui migrent depuis les régions reculées de l’Arctique jusqu’à la pointe australe de l’Afrique. Lors de la MOP6, les gouvernements des Parties à l’AEWA se prononceront sur les mesures de conservation et de gestion nécessaires de toute urgence pour assurer la survie à long terme des 255 espèces migratrices couvertes par l’Accord.

Alors que l’état de conservation de nombreuses espèces continue malheureusement de se détériorer, des améliorations peuvent être observées lorsque des mesures et des actions concertées sont entreprises : tel est le rôle des « plans d’action internationaux par espèce » élaborés au titre de l’AEWA pour assurer la conservation d’espèces d’oiseaux d’eau prioritaires le long de leur voie de migration, en encourageant la coopération internationale entre les nombreux pays d’Afrique et d’Eurasie. À la MOP6, six nouveaux plans d’action internationaux par espèce seront présentés aux Parties pour adoption. Ils portent sur les espèces suivantes : le Bec-en-sabot du Nil, la Grue royale, l’Oie des moissons de la taïga, la Harelde de Miquelon, l’Ibis chauve et le Courlis cendré. Un bref aperçu de l’état de conservation de certaines de ces espèces pourra aider à mieux comprendre les menaces auxquelles elles font face et les difficultés rencontrées lorsque l’on tente de les protéger efficacement - ainsi que l’indispensable coopération nécessaire pour les sauvegarder.

Le Bec-en-sabot du Nil

Le Bec-en-sabot du Nil (Balaeniceps rex) © Micha Schipper

Le Bec-en-sabot du Nil (Balaeniceps rex) est un oiseau d’eau remarquable, de grande taille, vivant dans les marais d’eau douce de l’est de l’Afrique centrale tropicale, avec une population mondiale réduite estimée entre 5000 et 8000 individus. L’espèce étant clairement en déclin dans plusieurs zones, elle est répertoriée comme Vulnérable sur la Liste rouge de l’UICN. Le Bec-en-sabot du Nil est présent depuis le Sud-Soudan et l’Éthiopie dans le nord jusqu’au nord de la Zambie dans le sud. Il se nourrit principalement de poissons et il s’agit d’une espèce longévive dont les couples n’élèvent habituellement qu’un jeune par saison de reproduction. Les Becs-en-sabot du Nil sont particulièrement vulnérables lorsque les marais commencent à s’assécher pendant leur période de nidification. Le succès de reproduction est largement influencé par des facteurs anthropiques, principalement les dérangements par le bétail et par les hommes, ainsi que la destruction par le feu des nids et plus largement des zones de reproduction. La conversion, la dégradation et la disparition des habitats constituent une menace importante pour la survie à long terme de cette espèce.

Les Becs-en-sabot du Nil sont également menacés par le commerce d’oiseaux vivants car ces oiseaux à l’aspect de créatures préhistoriques sont très appréciés. Ainsi, pour répondre à cette demande et en raison de leur très faible succès de reproduction en captivité, la pression sur la population sauvage est constante. Les Becs-en-sabot du Nil sont des oiseaux très sensibles, et les exportations passées ont entrainé une mortalité élevée lors de la capture, du transport et de la captivité. Une autre menace importante pour l’espèce est l’exploration et l’extraction de pétrole, en particulier au Sud-Soudan dans les zones humides de Sudd où des développements importants ont eu lieu, ainsi que le dragage des canaux d’accès qui affecte le fonctionnement hydraulique des marais. Des développements agricoles menacent également des zones importantes pour cet oiseau, notamment à Gambella dans l’ouest de l’Éthiopie. Dans l’ensemble, la conversion des marais pour l’agriculture et pour d’autres utilisations des terres demeure une menace majeure à long terme, qui pourrait être exacerbée, tout comme d’autres menaces, par les impacts plus larges du changement climatique.

Même si une forte proportion des Becs-en-sabot du Nil vivent dans les sites Ramsar, les zones protégées au niveau national et les ZICO, cela ne signifie pas qu’ils soient protégés ; les ressources et les capacités pour la gestion de vastes marais étant sérieusement limitées.

Afin d’assurer la conservation de cette espèce, le plan d’action proposé a identifié un certain nombre d’objectifs, tels que la suppression des facteurs réduisant la productivité, ou la réduction de la fragmentation et de la dégradation des habitats. Le maintien des interdictions de commerce, le renforcement de la surveillance et de la sensibilisation, la restriction de l’accès du bétail aux principales zones de reproduction, la délégation aux communautés de responsabilités en matière de conservation et la promotion des entreprises communautaires, notamment des initiatives d’écotourisme, sont quelques-unes des actions qui contribueront à ces résultats. La coopération et la coordination internationales sont essentielles pour que les actions de conservation soient efficaces, d’où la nécessité pour les autorités et les parties prenantes de travailler ensemble pour mettre en œuvre les actions.

La Grue royale

La Grue royale (Balearica regulorum) © Sergey Dereliev, www.dereliev-photography.com

La Grue royale (Balearica regulorum) est l’icône des zones humides et des prairies de l’Afrique. Elle se rencontre depuis l’Ouganda et le Kenya dans le nord jusqu’à l’Afrique du Sud. En raison d’un déclin de 80 % au cours des 45 dernières années, l’espèce est maintenant considérée comme En danger sur la Liste rouge de l’UICN.

Cette espèce dépend des zones humides pour la nidification. Omnivore, elle se nourrit dans les zones humides, les prairies et les savanes ouvertes, préférant les graines, les insectes et autres invertébrés. Elle est également très opportuniste et se rencontre souvent sur les terres agricoles. Pendant la nuit et lorsqu’elle se repose au cours de la journée, elle fréquente le plus souvent les grands arbres ou les grandes infrastructures, comme les poteaux électriques et les pylônes.

Les Grues royales, en raison de leur charisme et de leur beauté, sont très recherchées pour le commerce d’oiseaux élevés en captivité, où elles ont souvent une faible productivité et des taux de mortalité relativement élevés. En conséquence, une pression constante s’exerce sur les populations sauvages à travers l’Afrique pour la capture de jeunes oiseaux. Les dérangements par l’homme contribuent également à la réduction du succès de reproduction en empêchant les adultes de prendre soin de leur nid et de leurs poussins. Ces deux menaces sont encore exacerbées par la perte et la dégradation des habitats des zones humides dont ces oiseaux dépendent, le plus souvent causées par l’empiètement agricole, le reboisement, les modifications du fonctionnement hydraulique, l’exploitation minière et l’envasement. Bien qu’il existe d’autres menaces pour l’espèce, la collision avec les lignes électriques et l’électrocution constituent des menaces importantes, et augmenteront potentiellement de manière significative car de nombreuses régions d’Afrique connaissent un développement de l’électrification.

Le Plan d’action international par espèce élaboré pour la Grue royale au titre de l’AEWA propose des actions visant à maintenir et améliorer l’état de conservation de l’espèce, telles que l’amélioration de l’application de la législation, la sensibilisation sur diverses questions, la prise en compte du commerce de l’espèce, la réduction de l’impact des lignes électriques, la protection des sites importants pour les grues, et la garantie de la gestion et de l’utilisation durable des sites clés. Ce n’est que par une approche hautement collaborative associant de manière pluridisciplinaire et transversale les gouvernements, les ONG, les institutions de recherche, les zoos, les compagnies d’électricité et d’autres organisations, que l’avenir des Grues royales en Afrique sera assuré.

L’Oie des moissons de la taïga – Un cas de prélèvement durable

L’Oie des moissons de la taïga (Anser fabilis fabilis) © Jari Peltomäki

Le plan d’action international par espèce de l’AEWA pour l’Oie des moissons de la taïga (Anser fabalis fabalis) est le premier plan de conservation à l’échelle de la voie de migration élaboré en vertu de l’Accord pour une espèce en déclin et dont la chasse est encore autorisée. Les Oies des moissons de la taïga se reproduisent de façon discontinue dans la zone boréale depuis la Fennoscandie jusqu’à la Sibérie occidentale et hivernent dans le nord-ouest de l’Europe et en Asie centrale. Il s’agit de l’une des rares populations d’oies en déclin dans le Paléarctique occidental ; la taille de la population hivernante, estimée à 100 000 individus au milieu des années 1990, avait diminué à 63 000 en 2009. L’Oie des moissons est classée au niveau mondial sur la Liste rouge de l’UICN comme une espèce de Préoccupation mineure, parce qu’il n’est fait aucune distinction entre les sous-espèces, alors que la population de l’Oie des moissons de la toundra (Anser f. rossicus) est considérée comme stable et est beaucoup plus abondante que l’Oie des moissons de la taïga. Cependant, dans le cadre de l’AEWA, une distinction est faite entre les sous-espèces ; et cette catégorisation signifie que la chasse de l’Oie des moissons de la taïga pourrait continuer sur une base durable dans le cadre d’un Plan d’action international par espèce.

Les prélèvements tant légaux et qu’illégaux, les dérangements par les activités humaines, ainsi que la perte, la fragmentation et la dégradation des habitats adéquats en raison de la foresterie, du développement des infrastructures et d’autres facteurs liés à l’homme sont considérés comme des menaces importantes pour l’Oie des moissons de la taïga.

Des structures de gestion et organisationnelles internationales appropriées sont essentielles pour la mise en œuvre réussie et coordonnée des plans d’action internationaux par espèce. À cette fin, un Groupe de travail intergouvernemental international de l’AEWA pour l’Oie des moissons de la taïga sera convoqué à la suite de l’adoption du plan d’action afin de coordonner et orienter sa mise en œuvre et le développement des actions prévues.

Une utilisation réellement durable ne peut être obtenue qu’à l’échelle de la voie de migration, en associant tous les États de l’aire de répartition où cette population est chassée. Ce plan d’action est l’outil qui permettra d’assurer une approche coordonnée et convenue de l’utilisation durable de l’Oie des moissons de la taïga sur toute sa voie de migration.

Afin de réguler le prélèvement des oiseaux d’eau migrateurs, l’AEWA a élaboré des lignes directrices sur le prélèvement durable. Une version révisée de ces lignes directrices sera présentée à la MOP6. Les prélèvements d’oiseaux d’eau, quels qu’en soient les modes et les motivations, peuvent constituer à la fois des menaces et des opportunités pour la conservation des oiseaux d’eau. Ces lignes directrices ne visent pas à être exhaustives, mais elles démontrent les principes par lesquels les gestionnaires et les utilisateurs d’oiseaux d’eau chassables peuvent réduire au minimum les menaces et optimiser les opportunités. Ces lignes directrices démontrent également qu’une gestion efficace à l’échelle de la voie de migration est réalisable, comme en témoigne le succès des premiers exemples de gestion adaptative des oiseaux d’eau migrateurs récemment mis en œuvre dans la région de l’AEWA et qui mettent en évidence de nouvelles opportunités pour une gestion coordonnée.

 

Dernière mise à jour le 10 November 2015