25 ans de l'AEWA - Déclaration de Bert Lenten, ancien Secrétaire exécutif de l'AEWA

La célébration de cet anniversaire est une bonne occasion de refléter sur ce qui a été accompli depuis que l’AEWA a été conclu en 1995. Il y a vingt-cinq ans, je travaillais pour le Ministère de l’Agriculture, de la Gestion de la nature et de la Pêche des Pays-Bas et, pour être honnête, je n’étais même pas au courant qu’un traité ciblant les espèces migratrices d’oiseaux d’eau avait été élaboré par mon propre ministère. Je travaillais au niveau régional et je n’avais probablement pas reçu l’information sur cet évènement important qui s’est tenu à La Haye, aux Pays-Bas. Cette situation a complètement changé en l’espace de quelques mois, lorsque j’ai été nommé Secrétaire exécutif du Secrétariat provisoire de l’AEWA à mon ministère, à La Haye. 

À partir du 1er janvier 1996, la principale priorité du Secrétariat était de promouvoir l’AEWA et de recruter au moins 14 Parties (sept d’Afrique et sept d’Eurasie, comme spécifié dans le texte de l’Accord permettant l’entrée en vigueur de l’AEWA). Nous nous attendions à ce que cela soit atteint facilement dans les trois ans suivant la conclusion réussie des négociations en 1995. Malheureusement, cela n’a pas été le cas et, début 1999, seul un pays africain avait ratifié l’accord. Cela n’aurait pas été un problème majeur, si ce n’était que nous avions déjà convenu avec le Secrétariat de la CMS et les gouvernements d’Afrique du Sud et des Pays-Bas d’organiser la 1ère Réunion des Parties de l’AEWA au Cap (MOP1), en Afrique du Sud, du 6 au 9 novembre 1999. Toutefois, sans les 14 Parties nécessaires, il n’y aurait eu aucune base légale aux décisions prises lors de la MOP1. Afin d’éviter cela, j’ai rendu visite aux autorités de six pays d’Afrique de l’Ouest et cinq pays d’Afrique australe début 1999, qui ont tous adhéré à l’Accord dans les mois qui ont suivi, et l’AEWA est entré en vigueur juste à temps le 1er novembre 1999. 

La seconde priorité du Secrétariat était de donner vie à l’Accord. Autrement, l’AEWA resterait un traité bien écrit sans aucune activité de mise en œuvre. Pendant l’ébauche du texte de l’Accord, des consultations avaient eu lieu avec les principales parties prenantes. Celles-ci (États de l’aire de répartition, OIG, ONG et experts) sont très importantes pour la mise en œuvre de l’Accord. Par conséquent, lorsque début 1996, certaines personnes de la communauté internationale des chasseurs ont fait part de leurs préoccupations concernant le fait que le Secrétariat de l’AEWA était basé dans le ministère d’un pays qui venait de changer sa loi sur la chasse et avait exclu toutes les espèces migratrices d’oiseaux d’eau de la chasse, j’ai pris le sujet au sérieux. En expliquant clairement que l’AEWA avait sa propre politique en matière de chasse des oiseaux d’eau et, grâce au soutien de feu Herby Kalchreuter (CIC) entre autres, nous avons réussi non seulement à retenir cette partie prenante, mais également à développer une bonne relation de travail. Le Secrétariat a organisé plusieurs ateliers de l’AEWA conjointement avec les organisations de chasse afin de promouvoir l’utilisation de munitions non-toxiques pour la chasse des oiseaux d’eau dans les zones humides. Malheureusement, toutes les Parties de l’AEWA n’ont pas encore interdit l’utilisation des munitions au plomb.

Les Pays-Bas ont joué un rôle clé dans l’élaboration de l’Accord, en accueillant le Secrétariat provisoire et en organisant la 1ère Réunion des Parties en Afrique du Sud. Au fil des années, les gouvernements, ainsi que les ONG et les experts ont apporté un soutien considérable et de nombreux projets ont pu être menés. Le projet ‘Wings of Wetlands' (WOW) du PNUE-FEM sur les voies de migration était la plus grande initiative internationale à l’échelle des voies de migration visant à conserver les zones humides et les oiseaux d’eau dans la région d’Afrique-Eurasie, couvrant l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie centrale, le Groënland et l’archipel canadien. Le projet, qui a duré 4 ans (2006-2010), était un partenariat entre plusieurs organisations internationales de conservation et des gouvernements nationaux, et avait pour objectif d’améliorer la compréhension et la conservation des populations saines et viables d’oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie. Il a débuté après un atelier destiné à lever des fonds et organisé par la CMS en 1998 à Bonn. Autour d’une bière, des représentants du PNUE-FEM, de Wetlands International et des Secrétariats de la CMS et de l’AEWA se sont réunis pour discuter de la manière de mobiliser davantage de soutien pour la mise en œuvre de l’AEWA. Wetlands International a ensuite été engagé par le Secrétariat de l’AEWA pour développer un avant-projet. Cet avant-projet a été approuvé lors de la MOP1 et a finalement mené à l’élaboration et à la validation d’un projet de grande envergure du FEM de 12 millions de dollars, dont 50 pour cent seraient couverts par le FEM. Le rôle du Secrétariat était de réunir les 50 pour cent restants. Cela était un véritable défi. Bien que nous ayons beaucoup accompli, nous n’avons pas réussi à obtenir la totalité des fonds complémentaires et nous avons dû réduire en partie la proposition originale du projet. Je suis extrêmement reconnaissant de la coopération constructive entre tous les partenaires impliqués dans ce projet et pour tout le soutien que nous avons reçu pour faire de ce projet un succès. Sans ce soutien, nous n’aurions pas pu mettre en œuvre ce projet, qui a été classé dans le top 10 des meilleurs projets du FEM en matière de biodiversité. Les principales contributions qui en ont découlé (le Kit de Formation Voie de migration et l’Outil de Réseaux de Sites Critiques) existent toujours. 

En 2005, pour la première fois, une épidémie de grippe aviaire (H5N1) a sévi en Europe de l’Est. À l’époque, nous ne savions pas vraiment quel serait l’impact sur les humains et l’on craignait que cela se transforme en pandémie. De toute évidence, il s’agissait non seulement d’un sujet sanitaire grave, mais également d’un sujet de conservation grave. En tant que Secrétaire exécutif, j’étais très inquiet par l’impact sur notre travail, car les oiseaux étaient surnommés les « messagers de la mort ». C’est la raison pour laquelle j’ai lancé la « Journée mondiale des oiseaux migrateurs », qui a été célébrée pour la première fois en 2006, et chaque année depuis. J’espérais qu’en prêtant attention à la valeur des oiseaux migrateurs, nous aurions davantage de soutien pour leur conservation. Un autre sujet d’inquiétude était que les informations sur le rôle des oiseaux en tant que vecteur de la maladie étaient loin d’être impartiales. En prenant en compte le fait que la grippe aviaire était un sujet mondial, j’ai réussi à convaincre la CMS de mettre en place le Groupe de travail sur la grippe aviaire, afin de s’assurer que les informations sur le rôle des oiseaux dans la transmission de la maladie seraient basées sur des faits, et non simplement sur la peur. Avec du recul, les deux initiatives ont très bien marché. Heureusement, la grippe aviaire ne s’est pas transformée en pandémie, mais nous sommes au moins mieux préparés pour une situation similaire à l’avenir. 

L’objectif de l’AEWA est la conservation des voies de migration. Au fil des ans, plusieurs Plans d’action et Plans de gestion internationaux par espèce ou multi-espèces ont été développés. Au cours des ateliers de planification des actions, j’ai observé le grand engagement des participants (experts, chargés de mission et ONG) et la volonté de travailler ensemble pour le bien des espèces. 

Depuis que l’AEWA a été conclu en 1995, beaucoup de choses ont été accomplies grâce au soutien des gouvernements, des OIG, des ONG et des experts. Cela a permis au Secrétariat d’augmenter son personnel et de mener de nombreuses tâches. Les Parties ont remarqué le rôle important joué par le Secrétariat et apprécient les résultats de son travail. J’aimerais saisir cette occasion pour saluer le travail du Secrétariat de l’AEWA. L’équipe du Secrétariat fait de son mieux pour faire le travail attendu par les Parties ; elle est composée de professionnels très motivés, engagés au plus haut niveau à mettre en œuvre l’AEWA et les décisions prises lors des MOP. 

Vingt-cinq ans après la conclusion de l’AEWA, le travail n’est pas fini. Malheureusement, de nombreuses espèces n’ont toujours pas d’état de conservation favorable. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai déménagé à nouveau aux Pays-Bas. Chacun sait que mon pays abrite les principales terres de reproduction de la population d’Europe de l’Ouest de la barge à queue noire. Aux Pays-Bas, la province où je me suis installé (Friesland) est une zone clé pour cette espèce, mais le taux de reproduction cette année et l’année précédente est extrêmement bas, trop bas pour garantir la survie de l’espèce sur le long terme. Il est évident que l’utilisation actuelle des sols en est la principale raison. Sans un changement drastique de l’utilisation agricole des prairies, l’avenir de la barge à queue noire s’annonce inquiétant. Lorsque j’écoute les débats houleux entre agriculteurs et politiciens sur la réduction des émissions d’azote afin de protéger les sites Nature 2000, je ne vois pas de changement agricole substantiel se profiler dans un futur proche. Toutefois, la bonne nouvelle est que, à petite échelle, certains agriculteurs ont décidé de passer à l’agriculture biologique et même de restaurer une partie de leurs terres pour en faire un habitat plus adapté aux échassiers. Par ailleurs, les exploitations laitières promeuvent de plus en plus un lait écologique, respectueux des échassiers. Ainsi, les consommateurs peuvent choisir d’acheter ce genre de produits et, grâce à cela, une petite partie des bénéfices est mise de côté pour encourager les agriculteurs à produire du lait sain et écologique. Cela étant dit, il reste encore beaucoup à faire pour ramener la barge à queue noire à un état de conservation favorable. Par conséquent, je dirais que l’AEWA est encore plus nécessaire aujourd’hui qu’auparavant.

Comme je l’ai écrit au début de cet article, je ne connaissais pas l’AEWA en 1995. Actuellement engagé dans l’une des plus grandes ONG de conservation de la nature des Pays-Bas, j’ai remarqué que les professionnels travaillant pour cette organisation n’ont pas entendu non plus parler de l’AEWA. C’est également le cas des autorités locales et d’autres ONG. Selon moi, il est crucial pour la mise en œuvre de l’Accord d’aller à la rencontre de ce genre de groupes. Bien entendu, les « rares chanceux » qui se rendent aux MOP et autres réunions organisées par l’AEWA sont bien informés, mais ils n’ont peut-être pas toujours le temps ou ne sont pas forcément bien placés pour communiquer ce qui a été décidé. Cela serait donc pour moi une priorité pour les prochaines années.

Du fait de la crise économique, il y a moins de fonds disponibles pour mettre en œuvre l’AEWA. L’Initiative Africaine en particulier aurait bien besoin de davantage de soutien financier. Nous savons tous que ces pays en développement sont toujours riches en matière de biodiversité, mais manquent de moyens pour mettre en œuvre correctement l’Accord. En conséquence, un soutien supplémentaire afin de permettre au Secrétariat de l’AEWA d’aider ces pays dans leur mise en œuvre est absolument nécessaire. 

Bien sûr, de nombreuses autres activités très importantes menées par le Secrétariat ont besoin de davantage de soutien. J’espère de tout cœur que l’AEWA recevra le soutien pour se renforcer et que, dans 25 ans, nous pourrons dire : « Oui, nous avons réussi à maintenir et/ou restaurer toutes les espèces répertoriées par l’AEWA et à garantir leur état de conservation favorable ». Cela serait un bel héritage pour nos enfants et nos petits-enfants, un héritage dont nous pourrions être fiers. 

Dernière mise à jour le 20 January 2021